Europe : sortie de crise ou test à l'acide ?

Avec un revenu par habitant supérieur aux niveaux de 2007, les économies européennes accélèrent leur croissance et se préparent à promouvoir d'autres objectifs tels que la politique sociale. Cependant, il y a aussi des raisons d'attendre un dernier test décisif pour l'UE avant de considérer la crise comme terminée.

Dix ans après le début de la Grande Récession, l'économie européenne est déjà formellement rétablie, c'est du moins ce qu'affirme le communiqué de presse de la Commission européenne le 9 août. Le texte publié par les autorités bruxelloises pointe les politiques communautaires comme responsables des progrès réalisés au cours de la dernière décennie, parmi lesquels un PIB en croissance ininterrompue depuis 5 ans, des taux de chômage déjà au niveau de 2008, davantage de banques se démarquent. investissements et des comptes publics plus sains. En outre, la déclaration note que les réalisations sont également une excellente occasion de faire avancer l'agenda social de l'UE et d'accélérer l'union économique.

Malheureusement, tous les économistes ne partagent pas l'optimisme de Bruxelles. Cela signifie que, si le signe positif de certaines variables macroéconomiques est indéniable, il y en a aussi d'autres qui inquiètent les analystes. Dans cet article, nous passerons en revue l'évolution des économies européennes tout au long de la Grande Récession, en analysant à la fois les réalisations obtenues et les risques potentiels à l'avenir.

De bonnes données de croissance, mais il reste encore beaucoup de chemin à parcourir

La vérité est qu'en observant les preuves du graphique ci-dessus, nous pouvons facilement vérifier la véracité de la déclaration de la Commission. Dans la décennie qui a immédiatement suivi le déclenchement de la crise, le revenu par habitant européen a évolué en 3 phases : récession (2008-2009), stagnation (2010-2013) et reprise (à partir de 2014). Le résultat est que 10 ans plus tard, le PIB par habitant a déjà dépasse de loin les niveaux d'avant la crise, et toutes les prévisions pointent vers une nouvelle accélération de la croissance.

Les raisons de la reprise européenne sont variées et complexes, mais surtout les efforts d'austérité budgétaire ainsi que les mécanismes de sauvetage (qui ont permis de garantir la stabilité du système financier et de l'euro) et la politique d'expansion monétaire de la BCE. A ces deux facteurs, on pourrait en ajouter d'autres de grande pertinence comme la baisse des prix du pétrole et la capacité de certaines économies (Allemagne, Pays-Bas, etc.) à réduire leur dépendance à la consommation domestique et à réorienter leur modèle de croissance vers le secteur extérieur. , grâce à des réformes qui ont contribué à accroître la productivité.

Cependant, l'évolution positive du revenu par habitant a un corollaire important, évoqué dans la déclaration du commissaire aux affaires économiques Pierre Moscovici : la reprise a été plus intense dans certains pays, tandis que d'autres restent encore stagnantes. Comme nous l'avons commenté dans des articles précédents, la crise a stoppé la tendance convergente des économies de l'UE et a approfondi leurs différences, en plus de transférer le dynamisme du PIB de l'Europe du Sud vers l'Europe de l'Est. Le revenu par habitant est un exemple clair de cette situation : si des pays comme l'Italie, l'Espagne et la Grèce n'ont pas encore atteint leurs niveaux d'avant-crise, l'Allemagne, le Royaume-Uni et la Pologne les ont déjà largement dépassés.

Deuxièmement, il existe également d'autres variables macroéconomiques qu'il est essentiel d'analyser pour comprendre l'évolution de l'économie européenne au cours de la dernière décennie. Comme on peut le voir sur le graphique, la crise de 2007 a eu une fort impact sur les taux de croissance, malgré l'amélioration des données enregistrées ces derniers mois. Cependant, il est également important de considérer qu'une partie de l'augmentation du PIB en 2007 pourrait encore être due à des phénomènes indésirables tels que des bulles dans certains secteurs, ce qui signifierait que l'effet sur la croissance réelle serait beaucoup moins qu'apparent et que l'Europe l'économie pourrait être guidée aujourd'hui par un dynamisme plus sain et plus modéré.

Concernant le chômage, en revanche, on peut trouver une évolution favorable dans certains pays (comme l'Allemagne ou le Royaume-Uni) mais là encore il y a profondes différences entre les pays. En ce sens, l'éclatement des bulles formées en Espagne et en Grèce révèle encore son héritage de millions de chômeurs, qui ne peuvent pas toujours trouver des opportunités de réinsertion professionnelle dans des économies qui ont été contraintes de changer leurs modèles de production. Malheureusement, si ces efforts sont encore insuffisants, la création d'emplois en Europe n'a pas non plus été favorisée par le stagnation prolongée de deux de ses principales économies : Italie et France.

Il en va de même du déficit public, encore lourdement plombé par l'augmentation de l'endettement (malgré la réduction des coûts de financement induite par l'expansion monétaire de la BCE) et par la baisse des recettes fiscales, ainsi que par la rigidité des dépenses dans divers secteurs. Malgré la efforts d'assainissement budgétaire qui ont été réalisées par la plupart des pays de l'UE, il existe encore de grandes différences entre ceux qui ont leurs comptes publics en situation de déficit (Espagne, Royaume-Uni, France) et ceux qui ont réussi à les assainir (Allemagne, Hollande, République tchèque République).

En revanche, la donnée peut-être la plus positive des variables analysées est celle que l'on peut observer dans la balance du commerce extérieur : au cours des 10 dernières années, l'UE a réussi à consolider un excédent qui représente déjà 3,5 % du PIB. Contrairement à ce que prétendent certains économistes, cette amélioration n'est pas due à une réduction des importations provoquée par la baisse de la consommation intérieure (puisque les achats à l'étranger ont augmenté de 3,3 points au-dessus du PIB), mais à un forte progression des exportations (qui a progressé de 6,2 points sur la même période). Ce qui permet de déduire qu'il y a bien eu un transformation des modèles de production dans de nombreuses économies européennes, dans le sens d'une augmentation de la productivité pour gagner en compétitivité sur les marchés internationaux et ainsi compenser le ralentissement de la demande intérieure.

Un sujet d'inquiétude : la dette

Enfin, il est également important de rappeler que la reprise des économies européennes doit bien plus à la politique d'expansion monétaire de la BCE qu'aux stimuli budgétaires des gouvernements nationaux. En ce sens, il ne fait aucun doute que l'amélioration des facilités de financement des banques opérant dans l'UE a entraîné une plus grande solidité du système financier, qui avait été particulièrement touché par la crise. De plus, l'investissement a pu rester à des niveaux acceptables grâce à la forte injection monétaire promue par Mario Draghi, tandis que les plans de QE pour l'achat massif de dette souveraine ont permis à certains pays de continuer à financer leurs dépenses publiques, évitant ainsi d'être expulsés des marchés. des capitaux et par conséquent aller aux programmes de sauvetage.

Au cours des 10 dernières années, 19 euros de dette ont été créés dans l'UE pour chaque euro de PIB généré

Cependant, il est également possible d'objecter que le rôle excessif de la BCE en tant qu'acheteur de titres de dette publique pourrait non seulement constituer un frein à la consolidation budgétaire (puisque les pays déficitaires, voyant leurs coûts de financement égaux à ceux des autres, perdraient incitations à assainir leurs finances) mais aussi cela pourrait fausser les prix. On se retrouverait ainsi dans une situation où les marchés ne seraient pas en mesure de refléter fidèlement les prix d'équilibre, puisque ceux-ci seraient artificiellement réduits par l'action d'un de leurs principaux agents.

En revanche, il est préoccupant que le volume de la dette (tant publique que privée) ait crû bien plus vite que l'économie elle-même depuis 2007, avec une augmentation cumulée de plus de 13 700 000 millions d'euros (à prix constants) à fin 2016 En utilisant le même déflateur, si l'on considère une croissance du produit intérieur brut d'environ 700 000 millions, on arriverait à la conclusion qu'au cours des 10 dernières années, environ 19 euros de dette pour chaque euro de PIB généré. Ce chiffre en lui-même n'est pas nécessairement négatif (de nombreuses économies ont réussi à combiner leur croissance avec des niveaux d'endettement plus élevés), mais il peut être un facteur de risque à long terme si la BCE commence à retirer ses mesures de relance et que les taux d'intérêt remontent.

Fin de crise ou test acide ?

L'analyse des données présentées concernant le revenu par habitant permet de conclure que la reprise de l'économie européenne est déjà une réalité, même si la crise a largement brisé le processus de convergence qui existait au moins depuis le traité de Maastricht. Naturellement, la diversification des modes de croissance signale la besoin de plus de réformes dans les pays encore stagnants (la France étant le cas le plus paradigmatique) afin qu'à l'avenir la tendance convergente puisse être retrouvée et que l'unification économique dont rêvent tant les autorités bruxelloises soit réalisable.

Les économies européennes seraient confrontées à un véritable test décisif : pouvoir continuer à croître sans compter sur l'impulsion de la BCE

Les perspectives d'emploi, quant à elles, ne sont pas aussi optimistes car de nombreuses économies sont proches de leur niveau de chômage structurel, en raison de changements dans le modèle de production qui génèrent inadéquation entre l'offre et la demande. Malgré cela, la plupart des analystes s'attendent à ce que le dynamisme du marché du travail maintienne un signe positif, bien qu'à nouveau avec de grandes différences entre les pays.

La grande préoccupation, au vu des données fournies, est la forte croissance de la dette publique et privée, même si cette tendance pourrait se modérer si le processus de consolidation budgétaire se poursuit et si la BCE réduit ses plans de relance. Pour cette raison, les marchés européens prennent déjà position avant la possible virage restrictif de la politique monétaire qui pourrait être annoncé en septembre, toujours sans connaître les intentions de Mario Draghi. Dans l'hypothèse d'une nouvelle remontée des taux d'intérêt ou d'un retrait progressif des plans de QE, les économies européennes seraient confrontées à une véritable test décisif : être capable de continuer à croître sans l'élan de la BCE. Ce n'est qu'ainsi que l'on saura peut-être dans quelle mesure la croissance actuelle est attribuable à un modèle de production plus efficace, ou est simplement la conséquence de l'injection artificielle de liquidités sur les marchés; Ce n'est qu'ainsi que nous saurons s'il est déjà possible de parler d'une véritable reprise des économies européennes et si nous pouvons enfin affirmer que la Grande Récession est terminée.