Interventionnisme économique et protection sociale : le grand paradoxe espagnol

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Interventionnisme économique et protection sociale : le grand paradoxe espagnol
Interventionnisme économique et protection sociale : le grand paradoxe espagnol
Anonim

Ces dernières années, la croissance de l'économie espagnole coexiste avec une détérioration du bien-être de la population. Compte tenu de la variété des explications à cet égard, nous analysons si les solutions impliquent une plus grande intervention de l'État ou des marchés plus libres.

La croissance du PIB espagnol est encore insuffisante pour améliorer la qualité de vie de la population. C'est la conclusion que l'on peut tirer du rapport sur la situation de l'emploi et du bien-être dans l'UE publié par la Commission européenne le 17 juin. Dans ce document, les autorités européennes avertissent que la société espagnole souffre d'un risque élevé d'exclusion (28,6 %, à des niveaux similaires à ceux de la Grèce), de précarité de l'emploi (avec l'un des taux d'emploi temporaire les plus élevés, autour de 26 %) et de chômage des jeunes ( 44,4%. Ces données contrastent avec la dernière enquête sur les forces de travail (EPA), qui indique la bonne santé du marché du travail espagnol, avec la création de 370 000 emplois au deuxième trimestre de l'année et une forte baisse du chômage à 17,2%, les meilleures données depuis 2009.

La Économie espagnole est donc devant un étrange paradoxe : en tête du classement européen de la croissance et de la création d'emplois, mais dernières positions dans les indicateurs de bien-être social. La situation serait plus compréhensible s'il s'agissait d'une croissance avec peu d'impact sur l'emploi, mais cela ne semble pas être le cas en Espagne. Par conséquent, il y a deux explications possibles : Soit le modèle de production est efficace, mais il n'existe pas de mécanismes adéquats (en dehors du marché) pour distribuer la richesse qu'il génère, soit le marché lui-même, en tant que système d'allocation des ressources, souffre de graves déficiences. Dans cet article, nous analyserons les deux positions.

Première explication : l'État n'intervient pas assez

Il existe de nombreux points de vue concernant la mauvaise performance de l'Espagne dans les indicateurs sociaux susmentionnés. L'un d'eux, partagé par une grande partie de l'opinion publique et de la classe politique, soutient que la détérioration du bien-être social et l'augmentation des inégalités ont été possibles en raison de la mécanismes de redistribution insuffisants de richesse qui existent dans d'autres pays de l'environnement européen. Selon cette position, les marchés en Espagne, loin de garantir une répartition équitable des ressources, sont devenus la source d'inégalités injustes qui doivent être corrigées par l'État, notamment à travers des politiques fiscales expansionnistes.

L'argumentation de ceux qui appellent à une intervention plus active de l'État dans l'économie repose en grande partie sur le fait que l'Espagne est l'un des pays de l'UE à une baisse de la pression fiscale sur le PIB, comme on peut le voir sur le graphique. Ainsi, l'insuffisance des ressources fiscales disponibles serait un frein à une expansion des dépenses publiques visant à améliorer le bien-être social, tandis que la baisse de la pression fiscale laisserait plus de ressources entre les mains des contribuables les plus aisés, augmentant ainsi les inégalités. A l'inverse, les pays qui ont le plus d'économies intervenues (Finlande, France, Danemark) bénéficient également d'une position nettement meilleure dans les indicateurs de bien-être. L'exemple le plus clair est celui des pays scandinaves, qui sont en tête du classement européen en matière de protection sociale et de PIB par habitant, alors que leurs États jouent un rôle essentiel dans l'activité économique.

La conclusion, selon les partisans de l'interventionnisme, est claire : pour que l'Espagne améliore son bien-être social, elle doit mettre en œuvre des politiques fiscales redistributives plus ambitieuses et, bien entendu, l'augmentation des dépenses publiques qui en résulte devrait être financée par un effort fiscal accru. D'autre part, la différence entre la pression fiscale espagnole et celle de ses voisins européens pourrait montrer qu'il existe une large marge pour augmenter les impôts sans compromettre la croissance du secteur privé et que le niveau de taxation est encore loin du point le plus élevé dans la région Courbe de Laffer.

Une explication alternative : l'État étouffe l'initiative privée

Il y a aussi une lecture radicalement opposée à la précédente : l'économie espagnole n'est pas capable d'atteindre les niveaux de bien-être européens car il y a des facteurs liés à l'intervention de l'État qui rendent difficile (quand ils n'empêchent pas) libre fonctionnement des marchés, et par conséquent ils pourraient rencontrer de sérieux problèmes lors de l'optimisation de la richesse disponible. À son tour, l'inefficacité dans l'allocation des ressources se traduirait par une iniquité dans leur répartition, ce qui expliquerait la capacité limitée de l'économie espagnole à améliorer son bien-être social malgré des taux de croissance économique vraiment exceptionnels.

Il semble vraiment inquiétant que ce désavantage soit plus prononcé dans les aspects fondamentaux de toute économie en phase de reprise : l'entrepreneuriat, l'investissement privé et la législation du travail.

Par conséquent, les défenseurs d'une moindre intervention de l'État dans les décisions économiques des citoyens soutiennent que, comme on peut le voir sur le graphique, l'économie espagnole bénéficie d'un relativement moins de liberté que ses voisins européens. En ce sens, il semble vraiment inquiétant que ce désavantage soit plus prononcé précisément dans les aspects fondamentaux de toute économie en phase de reprise : l'esprit d'entreprise, l'investissement privé et la législation du travail. Cependant, il est également surprenant que même dans les domaines où la réglementation européenne a un poids plus important et la marge d'action des autorités nationales est plus limitée (comme le secteur financier ou les marchés monétaires), un certain déficit de revenus peut également être observé. .

De cette manière, le vrai frein à l'avancée de la protection sociale serait des freins à l'entrepreneuriat, et l'intervention publique dans l'économie espagnole, loin de résoudre ses inefficacités, ne ferait que contribuer à les aggraver. On se retrouverait ainsi avec l'exemple (traité dans les articles précédents) de l'Irlande et de l'Espagne, avec des modèles de croissance presque antagonistes et des tendances opposées dans leurs indices de Gini respectifs. Le paradoxe est que, contrairement à ce que l'on pouvait attendre au départ, c'est dans l'économie hibernant (la moins intervenue) que les inégalités sociales se réduisent, alors qu'elles se creusent chez les hispaniques (malgré leur engagement dans les politiques publiques).

L'octroi discrétionnaire de droits et privilèges par les autorités aurait signifié l'amélioration de la situation de certains groupes de travailleurs au prix d'une augmentation de la précarité d'autres.

En effet, les économistes en faveur d'une plus grande liberté économique soutiennent que l'intervention de l'État dans l'économie est souvent cause généralement des problèmes plus graves que ceux qu'il essaie en principe de résoudre. Dans le cas espagnol, la dualité rigide du marché du travail (travailleurs publics contre privés, permanents contre temporaires, etc.) aurait pu obliger le fardeau de l'ajustement économique à ne retomber que sur les secteurs les moins protégés par la réglementation étatique. Ainsi, l'octroi de droits et privilèges sur une base discrétionnaire par les autorités (au lieu de venir du marché, conséquence naturelle de l'augmentation progressive de la productivité) aurait signifié améliorer la situation de certains groupes de travailleurs au prix de d'accroître la précarité des autres. Le résultat serait donc un modèle de croissance économique capable d'augmenter le PIB mais avec peu d'impact sur la vie des citoyens les plus défavorisés.

Conclusion : une économie en attente de réformes

Au-delà de la diversité des opinions à cet égard, il ne fait aucun doute que l'économie espagnole est en cycle expansif fort, et que l'inertie même de la croissance du PIB tend à améliorer le bien-être social à long terme. Le problème réside peut-être dans la lenteur de cette dynamique par rapport à d'autres pays de l'environnement européen qui croissent à des rythmes plus modestes. Les réformes semblent donc inévitables, surtout si les prévisions économiques pour les années à venir se réalisent et que la croissance se stabilise à des niveaux inférieurs, mais également supérieurs à la moyenne communautaire.

Par contre, les preuves qui sont parfois présentées pour défendre des positions à cet égard ne sont pas sans poser problème. Sans aller plus loin, nombreux sont les économistes qui s'interrogent sur l'utilité de la pression fiscale pour mesurer le degré d'intervention dans une économie, puisqu'il s'agit simplement d'un rapport entre la perception de l'impôt et le PIB. Ainsi, un pays avec des niveaux élevés de fraude fiscale ou une économie souterraine, par exemple, pourrait présenter des niveaux artificiellement bas alors même que ses contribuables sont soumis à une charge fiscale plus élevée. Cela pourrait être précisément le cas en Espagne : selon une étude publiée en juillet par le groupe de réflexion Citoyenneté, la pression fiscale moyenne des entreprises espagnoles (comprise comme la somme totale des impôts payés sur les bénéfices bruts) s'élève à 49%, 9 points au-dessus de la moyenne européenne (malgré une pression fiscale moindre sur le PIB).

De plus, on oublie souvent que la politique fiscale n'est pas le seul instrument aux mains de l'État pour intervenir dans l'économie. Au contraire, les autorités disposent de larges pouvoirs pour réguler la vie économique sans avoir recours aux caisses publiques. En ce sens, de nombreuses études indiquent que L'activité économique espagnole souffre d'innombrables obstacles en raison d'un cadre juridique complexe, en constante évolution et également inégal au niveau territorial. Sans parler de la distorsion des marchés qui en découle, comme cela pourrait arriver, par exemple, avec une législation du travail qui encourage artificiellement l'embauche temporaire au détriment des contrats à durée indéterminée.

C'est précisément pour cette raison que les défenseurs de l'intervention croissante de l'État dans la vie économique espagnole soutiennent que l'origine de la déficit de liberté est dans un activité réglementaire excessive, et non dans une charge fiscale excessivement élevée. Dans certains cas, leurs propositions consistent à augmenter la pression fiscale sur les citoyens tout en simplifiant les règles qui régissent l'économie. Cela permettrait de mener des politiques redistributives plus larges et en même temps d'améliorer le fonctionnement des marchés, comme on a pu le voir dans des pays à grand bien-être social comme les Pays-Bas ou la Suède. Cependant, ces idées ne sont pas non plus sans controverse, en supposant qu'une politique fiscale redistributive ne fausse pas la prise de décision sur le marché, ce qui est largement discutable.

En tout cas, la vérité est que les besoins actuels en termes de consolidation budgétaire (rappelons que l'Espagne est toujours sous le protocole de déficit excessif établi par l'UE) rendent nécessaire une poursuite du nettoyage des caisses publiques pour laquelle il ne suffit peut-être pas de compter sur la simple croissance du PIB. En ce sens, s'il est vrai qu'au cours de la période 2010-2013 il y a eu des coupes budgétaires visant à réduire le poids de l'État dans l'économie, à de nombreuses reprises ces politiques n'ont pas été accompagnées de mesures qui amélioreraient les conditions de concurrence pour le secteur privé, limitant ainsi les progrès possibles de l'efficacité du marché. D'autre part, le rejet social de l'austérité budgétaire et la situation politique actuelle suggèrent que les prochains ajustements, s'il y en a, tomberont du côté des recettes publiques à travers de nouvelles hausses d'impôts.

C'est ainsi que l'on trouve le deuxième grand paradoxe de l'économie espagnole, peut-être plus difficile à comprendre que la première : la plupart des options politiques choisies par les citoyens appellent à une plus grande intervention de l'État dans la vie économique des individus, en même temps que leur inquiétude face à la corruption et à la mauvaise gestion des ressources publiques grandit. Les électeurs, de cette façon, disent ressentir une profonde méfiance envers la classe politique, mais parient sur leur donner des parts toujours plus importantes de leur propre richesse.